À une semaine de la participation attendue des autorités burundaises au sommet Union Africaine-Union
européenne à Bruxelles les 17 et 18 février 2022, la société civile burundaise en exil exprime sa déception et
son inquiétude quant à la décision annoncée le 8 février dernier par l’Union européenne de lever ses
sanctions contre le Burundi. Ces mesures avaient été adoptées en 2016 dans le cadre de l’accord de Cotonou
en raison de la grave détérioration de la situation des droits humains dans le pays.
« Je m’indigne que l’Union européenne décide de coopérer avec un pays qui continue de violer les droits
humains », dénonce un défenseur des droits humains (DDH) qui a souhaité rester anonyme. L’annonce de la
levée des sanctions intervient en effet alors qu’aucun progrès significatif n’a été constaté dans le domaine des
droits humains dans le pays. Au contraire, aucun des éléments sur lesquels l’Union européenne attendait des
avancées (listés dans la « matrice des engagements » de 2016) n’a fait l’objet de véritables réformes ces six
dernières années. « On ne peut pas s’empêcher de penser que la levée des sanctions est contraire aux valeurs
sur lesquelles est fondée l’Union européenne », ajoute Dieudonné Bashirahishize, membre et ancien Président
du Collectif des Avocats pour la Défense des Victimes (CAVIB).
« La situation que nous avons fuie reste la même aujourd’hui », continue-t-il. En 2015, de nombreux·ses
membres de la société civile avaient été contraint·es à l’exil en raison des atteintes généralisées contre la
liberté d’expression et la liberté d’association dans le pays. En réponse au mouvement d’opposition à la
candidature du Président Pierre Nkurunziza à un troisième mandat, les autorités burundaises avaient
notamment procédé à de nombreuses exécutions extrajudiciaires et disparitions forcées dans un contexte
d’impunité généralisée. Des milliers d’arrestations et détentions arbitraires avaient également été dénoncées,
avec des allégations de torture et de traitements inhumains ou dégradants à l’encontre des personnes
détenues. Six ans plus tard, Dieudonné Bashirahishize constate que « le régime burundais a changé de
rhétorique, mais on n’observe pas de changement sur le terrain ».
L’arrivée au pouvoir d’Evariste Ndayishimiye en 2020 avait pourtant ouvert l’espoir d’une transition au
Burundi. « Il y a de bonnes paroles, mais pas toujours suivies de bonnes actions », déplore Anschaire
Nikoyagize, Président de la Ligue ITEKA. Malgré la libération en 2020 des quatre journalistes d’Iwacu, ou celle
du DDH Germain Rukuki en 2021, la situation de la société civile demeure extrêmement préoccupante. Le cas
de l’avocat Tony Germain Nkina, condamné en octobre 2021 à une peine de cinq ans de prison suite à un
procès inéquitable en raison de son ancienne affiliation à une organisation de droits humains, illustre la
continuité des attaques contre les DDH au Burundi. « L’espace politique est verrouillé. Beaucoup de militants
sont arrêtés pour avoir tenu des réunions », dénonce encore Gervais Nibigira, Vice-Président du Réseau des
Citoyens Probes (RCP).
Les autorités burundaises s’en prennent également aux DDHs qui ont décidé de fuir le pays. « Ce qui nous a
poussé à quitter le pays est toujours là », explique Anschaire Nikoyagize. Le 2 février 2021, la Cour Suprême
du Burundi a notamment rendu publique la condamnation à perpétuité de 12 DDHs en exil sur bases
d’accusations infondées d’« attentat à l’autorité de l’État », d’ « assassinats » et de « destructions ». Si ces
personnes décidaient de rentrer au Burundi, elles risqueraient de se voir arrêtés et détenus en application de
cette peine, prononcée en l’absence des accusés, et sans qu’il ne leur ait été permis d’accéder à leur dossier.
« Comment pourrions-nous retourner dans un pays où l’on risque enlèvements, arrestations arbitraires,
assassinats ? », répond Germain Rukuki aux appels lancés par le gouvernement pour le retour des exilé·es.
Face aux injonctions à « observer une période de silence » après le retour au pays, Eulalie Nibizi, ancienne
présidente du Syndicat des travailleurs de l’enseignement au Burundi, s’interroge : « Pourquoi rentrer si c’est
pour se taire ? »
Au-delà des DDHs, beaucoup de citoyen·nes burundais·es ayant quitté le pays après avoir subi des violations
graves de leurs droits ne souhaitent pas rentrer, malgré les pressions subies. Chantal Mutamuriza, Directrice
exécutive de Light for All témoigne : « Je travaille avec des personnes victimes de violences sexuelles réfugiées
en Ouganda. La plupart ne peuvent pas rentrer car elles n’ont jamais été soignées de leurs blessures physiques
et psychologiques. Certains préfèrent mourir que rentrer. »
Les organisations de la société civile burundaises qui travaillent depuis l’exil constatent que la situation
sécuritaire demeure en effet extrêmement préoccupante. Pacifique Nininahazwe, Président du Forum pour
la Conscience et de Développement (FOCODE), explique que le travail de documentation de son organisation
permet d’affirmer que « le nombre de disparus a augmenté depuis l’arrivée du nouveau président ». De son
côté, la Ligue ITEKA a également continué ces dernières années à documenter de nombreuses violations sur
l’ensemble du territoire, y compris des meurtres, des arrestations arbitraires, et des cas de violences
sexuelles. Ces faits ont lieu en totale impunité : les autorités sont souvent au courant ou à l’origine des
violations et les responsables ne sont que très rarement traduits en justice.
« Je ne vois pas sur quelle base l’Union européenne peut dire qu’il y a eu une amélioration de la situation des
droits humains au Burundi », ajoute Pacifique Nininahazwe. Ce sentiment est partagé par les DDHs
burundais·es en exil, comme Marie-Louise Baricako, présidente du mouvement Inamahoro, qui déclare : «
Les sanctions ont été adoptées sur la base de la situation des droits humains et la gouvernance. Ce sont les
deux domaines les plus en souffrance aujourd’hui au Burundi ». Eulalie Nibizi, quant à elle, déplore que « les
victimes [n’aient] malheureusement pas la force de peser sur les décisions de l’Union européenne ».
« La levée des sanctions risque d’avoir des conséquences très négatives », s’inquiète encore Dieudonné
Bashirahishize, craignant qu’elle soit perçue par le gouvernement burundais comme un signal d’approbation
de la part de l’Union européenne de sa politique répressive. Suite à cette décision, il est désormais
indispensable que l’Union européenne exprime publiquement et sans équivoque que la levée des sanctions
ne signifie pas la fin de son engagement pour les droits humains au Burundi. Les organisations soussignées
demandons notamment à l’Union européenne de :
• Maintenir et renouveler les mesures restrictives adoptées à l’encontre d’individus responsables de
violations graves de droits humains au Burundi tant qu’ils occuperont des positions clé au sein de
l’appareil politique burundais et qu’ils continueront à jouer un rôle dans la commission de violations
des droits humains ;
• Demander la réouverture du bureau de l’office des Nations Unies aux droits de l’homme
• Maintenir le soutien financier et politique à la société civile burundaise, y compris celle en exil ;
• Exhorter les autorités burundaises à prendre des mesures immédiates afin de :
◦ Mettre fin aux violations commises par les services de sécurité, ainsi que par la milice
Imbonerakure ;
◦ Mener urgemment des enquêtes indépendantes sur les violations graves des droits humains
commises dans le pays depuis 2015, y compris les allégations de meurtre et de torture, dans le
but d’en tenir les auteurs responsables ;
◦ Libérer immédiatement les personnes arbitrairement détenues, en particulier les prisonniers
d’opinion, y compris l’avocat Tony Germain Nkina ;
◦ Garantir la possibilité pour la société civile locale comme internationale, y compris les DDHs et
les journalistes, de travailler librement au Burundi, sans crainte pour leur sécurité,
◦ Annuler la condamnation des 12 DDHs en exil prononcée le 2 février 2021 ;
◦ Mettre fin aux restrictions abusives imposées aux organisations non-gouvernementales
étrangères, comme la nécessité de respecter des quotas ethniques sur leur personnel,
notamment à travers une révision de la loi de 2017 sur les organisations non-gouvernementales;
◦ Lever les mesures de radiation des organisations de la société civile dont la Ligue Iteka, le Forum
pour le Renforcement de la Societe Civile, le Forum pour la Conscience et le Développement,
l’Association Burundaise pour la Protection des Droits Humains et des Personnes Détenues,
l’Action Chrétienne pour l’Abolition de la Torture et le Réseau des Citoyens Probes ;
◦ Lever la mesure de suspension des organisations de la société civile dont la Coalition de la Société
Civile pour le Monitoring Electoral, la Coalition Burundaise pour la CPI, l’Union Burundaise des
Journalistes et SOS Torture Burundi ;
◦ Permettre la réouverture des médias indépendants, comme la RPA, la Radio Télévision
Renaissance (RTR), BBC et Voice of America ayant été contraints de cesser leurs activités au
Burundi depuis 2015 ;
◦ Autoriser l’accès au territoire burundais du Rapporteur spécial des Nations unies sur la situation
des droits de l’homme au Burundi;
◦ S’engager à collaborer avec le rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des droits de
l’homme au Burundi
Signataires :
- Action des Chrétiens pour l’abolition de la torture au Burundi (ACAT Burundi)
- Association des Amis de la Nature
- Association des Journalistes Burundais en Exil (AJBE)
- Association pour la Coopération et l’Auto-Développement (ACAD)
- Coalition Burundaise des Défenseurs des Droits Humains (CBDDH)
- Coalition Burundaise pour la Cour Pénale Internationale (CB CPI)
- Collectif des Avocats pour la défense des Victimes de crimes de droit international commis au Burundi (CAVIB)
- Ensemble pour le Soutien des Défenseurs des Droits Humains en Danger (ESDDH)
- Forum pour la Conscience et de Développement (FOCODE)
- Forum pour le Renforcement de la société civile au Burundi (FORSC)
- Ligue ITEKA
- Mouvement INAMAHORO
- Mouvement des femmes et filles pour la paix et la sécurité au Burundi (MFFPS)
- Réseau des Citoyens Probes (RCP)
- SOS TORTURE BURUNDI
- Tournons la Page Burundi
- Union Burundaise des Journalistes (UBJ)