Les organisations signataires de la présente ont été informées de l’invitation de l’Ambassadeur du Burundi en Belgique concernant des rencontres d’échange avec la délégation de la CVR du Burundi sur ses missions, les résultats atteints et écoute des témoignages des Burundais vivant en Belgique du 28 juin au 1er juillet 2023 à Bruxelles.
Ces organisations rappellent que la CVR a été pensée comme un des mécanismes de justice transitionnelle par l’Accord d’Arusha pour la Paix et la Réconciliation au Burundi signé à Arusha le 28 août 2000. Malgré la mobilisation de plusieurs franges de la population burundaise, en ce compris des organisations de la société civile et celles des victimes, la CVR ne sera mise en place que 14 ans plus tard, et ce dans un contexte de crise socio-politique
découlant du troisième mandat de Pierre Nkurunziza en 2015 qui a poussé plus d’un demi million de Burundais sur le chemin de l’exil.
Alors que la première équipe de la CVR (de 2014 à 2018) s’est attelée à mener des consultations tout en essayant d’écouter les Burundais de toutes les tendances, la deuxième équipe qui commence son travail en 2018 va accélérer le travail de la commission pour aboutir, trois ans plus tard, en décembre 2021, à la conclusion partisane, prônée par certains groupes de Burundais, que la crise de 1972 au Burundi était un génocide contre les Hutu sans daigner aborder la question objectivement en déterminant l’origine, les auteurs et les conséquences des tragédies de cette époque. Ce fut un processus partisan, semant la haine et exacerbant les clivages ethniques, en totale contradiction avec la mission première de la CVR, à savoir établir la vérité et réconcilier les Burundais. Toutes les victimes de toutes les tragédies qui ont endeuillé le Burundi comptent, chaque victime a un nom et ne méritait pas la mort. Les démarches discriminatoires assumées ne font que discréditer le processus et hypothéquer l’espoir du peuple burundais longtemps martyrisé de voir un Burundi réconcilié et stable.
Avant sa désignation à la tête de la CVR en novembre 2018, par l’Assemblée nationale dominée par le parti CNDD-FDD, Pierre Claver Ndayicariye a été un acteur clé de la crise burundaise qui éclata en 2015 en raison du troisième mandat illégal et contesté de feu Pierre Nkurunziza en sa qualité de président de la Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI). Pour rappel, c’est cette dernière qui organisa une élection contestée par beaucoup de
partenaires politiques dans un contexte de crise du troisième mandat. En raison de son allégeance au système du CNDD-FDD, son mandat avait été prolongé pour organiser un semblant de référendum en décembre 2018, lequel a abouti à la mise au rencart de l’Accord d’Arusha qui fondait la base de la cohésion sociale et de la stabilité au Burundi.
L’activisme politique de Pierre Claver Ndayicariye, en faveur de la dictature de Pierre Nkurunziza s’exprimera par ailleurs par la publication en 2020, d’un livre « Burundi 2015, chronique d’un complot annoncé » dont il remet une copie à Pierre Nkurunziza en 2020, peu avant sa mort. Le rappel de l’activisme de Pierre Claver Ndayicariye, président de la CVR, n’est pas anodin. Point n’est besoin de souligner que la CVR marche constamment au rythme
impulsé par son président qui entretient un contentieux avéré avec beaucoup de burundais regroupés dans les organisations de la société civile et politiques.
Le 20 décembre 2021, la CVR remettait à l’Assemblée nationale, un rapport d’étape portant notamment sur la qualification des crimes commis en 1972. Selon la CVR, les crimes commis en 1972 constituent un génocide contre les Hutu, et des crimes contre l’humanité contre les Tutsi et les Batwa. Dès réception du rapport, le Parlement, toutes chambres réunies, adopta le rapport ainsi que la qualification faite par la CVR. Le Parlement demandera au Gouvernement de procéder urgemment aux étapes requises en vue de la reconnaissance internationale du
génocide contre les Hutu en 1972. Pierre Claver Ndayicariye saisit l’occasion pour exiger qu’une loi réprimant les négationnistes de ce génocide soit vite votée.
De surcroît, force est de constater que la CVR n’est pas habilitée à qualifier les crimes du passé. L’Accord d’Arusha pour la Paix et la Réconciliation au Burundi du 28 août 2000, article 8, 1, a) du Protocole I, chapitre I dispose qu’en enquêtant pour faire la lumière et établir la vérité sur les actes de violence graves commis au Burundi : « la Commission n’est pas compétente pour qualifier les actes de génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes
de guerre ».
A part qu’elle s’est octroyée des pouvoirs qui ne lui sont pas dévolus, en procédant à la qualification des crimes de 1972, la CVR s’est transformée en une instance d’investigation judiciaire. En effet, cette commission s’est précipitée à tirer des conclusions hâtives sur des
questions cruciales qui relèvent la compétence d’un mécanisme judiciaire indépendant tel qu’un tribunal spécial indépendant pour le Burundi.
Plusieurs groupes se sont levés pour dénoncer les conclusions de la CVR. Comme principal objet de critique, d’aucuns s’interrogeaient sur la raison qui a poussé la CVR à commencer ses enquêtes sur les atrocités commises en 1972 alors qu’il existe d’autres périodes antérieures également importantes, où des crimes atroces ont été commis au Burundi. D’autres s’interrogeaient sur la compétence de la CVR à qualifier les crimes, la méthodologie utilisée,
la composition de la commission, le contexte politique et sécuritaire qui prévaut dans le pays depuis l’éclatement de la crise de 2015 ainsi que le refus d’implication des experts internationaux pourtant prévus par la loi. Ainsi, les conclusions de la CVR avaient été présentées six mois après cinq conférences organisées par le Sénat du Burundi, du 28 avril au 25 juin 2021, sur la crise de 1972, où les participants, proches du CNDD-FDD, avaient déjà
recommandé « la qualification de génocide des massacres de 1972 commis contre les Bahutu
du Burundi au vu du mode de planification, d’identification et des moyens de l’Etat mobilisés
pour massacrer les victimes ».
L’année 2022 a été principalement focalisée sur la sensibilisation de la population aux résultats de la CVR. En réalité, depuis la Déclaration de la CVR confirmant qu’un génocide a été commis contre les Hutu, le gros des travaux de cette commission tourne autour de la reconnaissance nationale et internationale de cette qualification. Ainsi, plusieurs descentes ont été organisées dans les écoles, dans les universités, au sein des administrations publiques mais aussi à l’endroit des agents et hauts fonctionnaires de l’Etat, les corps de défense et de sécurité
et des diplomates.
Plusieurs groupes, y compris la société civile, les partis politiques, les Burundais réfugiés et exilés ainsi que des chercheurs et académiciens ont fréquemment demandé à la CVR et aux autorités burundaises d’être associés à ce projet de recherche de la vérité, et de donner leur contribution. Mais la CVR a choisi d’ignorer bien des contributions ou d’en recevoir selon un procédé consistant à en faire le tri selon les personnes, groupes ou tendances, de manière à
éviter systématiquement les témoignages ou preuves de nature à contredire la version de la commission.
Au niveau des mécanismes internationaux, les mêmes critiques de partialité de la CVR ont été déjà exprimées. C’est ainsi que dans son rapport du 16 septembre 2020, la Commission d’Enquête des Nations Unies sur le Burundi a déploré que la CVR avait une approche très partiale de sa mission. Selon cette commission, la CVR a contribué à raviver des douleurs et des ressentiments entre les communautés ethniques profondément marquées par les massacres de 1972.
Quant au Rapporteur spécial sur la promotion de la vérité, de la justice, de la réparation et des garanties de non-répétition, il notait avec inquiétude l’affiliation politique des membres de la CVR et rappelait la nécessité d’assurer un équilibre ethnique dans les enquêtes.
Il formulait ces critiques lors de la 48ème session du Conseil des Droits de l’Homme, tenue du 13 septembre au 1er octobre 2021.
Les conférences organisées par la CVR n’ont que le seul but de déformer l’histoire du Burundi afin de créditer sa version auprès de l’opinion qui continue à résister à cette entreprise de la manipulation, de mensonge et de propagande politique. La CVR avance notaque les « Mayi Mulele » découlaient d’un complot ourdi par le président Micombero afin que ces mercenaires congolais massacrent les Tutsi pour ainsi justifier le génocide des Hutu.
En raison des prestations de la CVR, certains groupes de Burundais reprennent en chœur les conclusions de la CVR, accusant sur le champ les compatriotes désormais considérés en bloc comme génocidaires ; et ainsi le Burundi est victime de la montée du discours de la haine, et des pratiques d’exclusion et de discrimination identitaire ;
De ce qui précède ;
Les organisations signataires :
1. Réaffirment que la CVR a perdu sa légitimité, et ne peut pas effectuer un travail de recherche de la vérité sur le passé douloureux que le Burundi a connu et qu’au lieu de contribuer à la réconciliation du peuple, les conclusions de la CVR sont devenues une source majeure de haine ethnique ;
2. Rappellent que de par ses travaux, conclusions et qualification des faits sur la crise de 1972, la CVR a confirmé que son objet se limite exclusivement sur cette période ;
3. Rejettent le fait accompli dans lequel cette commission veut mettre le Burundi et la communauté internationale ;
4. Considèrent que les rencontres organisées par la CVR à Bruxelles n’ont aucune raison d’être dès lors que la CVR semble avoir terminé sa mission : celle de la reconnaissance du génocide des Hutu en 1972
5. Constatent que la mission de la CVR à Bruxelles est parrainée par l’ambassade du Burundi en Belgique. Ainsi, même si la CVR avait la légitimité et fonctionnait conformément aux aspirations des burundais, beaucoup de Burundais réfugiés seraient exclus de ce processus entièrement parrainé, coordonné et contrôlé par l’ambassade du
Burundi.
6. La CVR ne saurait non plus prétendre qu’elle cherche à collecter des témoignages dès lors qu’elle a déjà tiré la conclusion et qualifié les faits qui se sont produits au cours de la crise de 1972 ;
7. Persistent à demander aux autorités burundaises, à commencer par le Président Evariste Ndayishimiye, de suspendre les travaux de la CVR afin de créer d’abord des conditions propices au travail qui doit être celui de cette commission ; et de mettre sur pied une CVR impartiale, objective et rassurant tous les Burundais ;
8. Demandent à la communauté internationale d’aider les Burundais dans la mise en place des mécanismes de justice transitionnelle convenus dans l’accord d’Arusha à savoir un tribunal pénal spécial sur le Burundi et la CVR.
Fait ce 28 juin 2023
Les organisations signataires:
• Action des Chrétiens pour l’abolition de la torture au Burundi (ACAT Burundi)
• Association des Journalistes Burundais en Exil (AJBE)
• Association burundaise pour la protection des droits de l’homme et des personnes
détenues( APRODH)
• Coalition Burundaise des Défenseurs des Droits Humains (CBDDH)
• Coalition burundaise des défenseurs des droits de l’homme vivant dans les camps des
réfugiés( CBDH/VICAR)
• Coalition Burundaise pour la Cour Pénale Internationale (CB CPI)
• Coalition de la société civile pour le monitoring électoral( COSOME)
• Collectif des Avocats pour la défense des Victimes de crimes de droit international
commis au Burundi (CAVIB)
• Ensemble pour le soutien des défenseurs des droits humains en danger( ESDDH)
• Forum pour la Conscience et de Développement (FOCODE)
• Forum pour le Renforcement de la société civile au Burundi (FORSC)
• Light for all
• Ligue ITEKA
• Mouvement INAMAHORO
• Mouvement des femmes et filles pour la paix et la sécurité au Burundi (MFFPS)
• Réseau des Citoyens Probes (RCP)
• SOS Torture Burundi
• Tournons la Page Burundi
• Union Burundaise des Journalistes (UBJ)
Télécharger la déclaration CVR à Bruxelles