L’instruction du président de la cour suprême constitue un net recul sur l’égalités des genres au Burundi
A travers la note Réf :552/01/1287/CS/2024 du 16 août 2024, Mr Emmanuel Gateretse, Président de la Cour suprême, s’est adressée à toutes les juridictions du Burundi concernant la jurisprudence foncière produite en 2022 par la Cour Suprême elle-même et est sa propriété en évoquant « des imperfections qui s’y retrouveraient, notamment concernant les arrêts qui consacrent l’égalité des filles et des garçons dans l’héritage foncier en milieu rural ».
Ce faisant, le Président de la cour suprême du Burundi met les droits des femmes en péril car cette autorité judiciaire rejette de manière décomplexée, les principes fondamentaux des droits humains dont la dignité, l’égalité et la non-discrimination. Et pour cause, en obligeant toutes les juridictions burundaises à se rétracter sur la jurisprudence en vigueur en matière d’héritage foncier, cette note nie en bloc viole la Constitution du Burundi ainsi tous les instruments internationaux en rapport avec les droits humains régulièrement ratifiés par le Burundi en privilégiant la coutume au-dessus de la loi.
Pour rappel, la jurisprudence est « un ensemble des décisions judiciaires rendues par les juridictions supérieures (Arrêts de la Cour d’Appel et Cour Suprême notamment) pour, soit combler un vide juridique qui plane, soit clarifier une loi là où elle est obscure et constituer par voie de conséquence une source de droit devant servir de référence pour les décisions judiciaires ultérieures ».
Selon Président de la Cour suprême, ces arrêts contenus dans le recueil de jurisprudence foncière sont en contradiction avec la coutume burundaise régissant l’héritage des terres successorales en milieu rural. Or, pour ce cas d’espèce, rien n’a été inventé et le contenu du recueil de jurisprudence foncière n’est qu’une collection des arrêts modèles recensés auprès de toutes les 8 cours d’appel du Burundi ainsi qu’au niveau de la Cour Supreme. FORSC se pose la question de savoir si c’est le recueil en soit qui constitue une jurisprudence ou ce sont les arrêts qui s’y retrouvent et s’étonnerait de ne pas trouver, parmi les arrêts modèles retenus, un arrêt que le Président de la Cour Supreme lui-même aurait diligenté.
Le Président de la Cour suprême poursuit en affirmant que « la revue ne sera publiée au Bulletin Officiel du Burundi (BOB) que quand ces arrêts qui consacrent l’égalité entre les garçons et les filles lors du partage de la propriété foncière reçue en héritage « Itongo ry’umuryango » en milieu rural auront été retirés » FORSC est curieux de savoir si l’égalité entre les filles et les garçons constitue une imperfection en soit.
De surcroit, le Président de la Cour Suprême intime à toutes les juridictions l’ordre de « n’appliquer que la coutume dans le règlement des litiges fonciers portant sur des terres successorales, en attendant la publication définitive de la revue ». De ce paragraphe, il est clair que le Président de la Cour Suprême sacrifie la loi au profit de la coutume non harmonisée encore pas codifiée. Tout en précisant que « la hiérarchie des normes juridiques est un principe sacro-saint », la coutume ne saurait en aucun cas primer sur la Constitution et les autres lois écrites.
A noter à toutes fins utiles qu’à la même date, (16 août 2024), la même autorité judiciaire donne injonction au Centre d’Etude et de Documentation Juridique (CEDJ) lui interdisant la publication dudit recueil de jurisprudence sous No 552/01/1282/CS/2024 tant qu’il ne lui est pas encore transmis officiellement pour une publication conséquente au Bulletin Officiel du Burundi. Le président de la Cour Suprême renchérit en disant que sa publication et vulgarisation est conditionnée par la levée des imperfections qui s’y retrouvent. Soulignons que cette interdiction de publication dudit recueil intervient plus de 2ans après sa validation (en 2022) en présence des hauts cadres de la justice y compris Madame la Ministre de la Justice et Gardes des Sceaux. De surcroit et à cette occasion beaucoup d’exemplaires physiques ont été distribués à pas mal d’acteurs dans le domaine du foncier ainsi que divers partenaires au développement du Burundi, lequel recueil serait sans doute en train d’être utilisé.
Au regard de l’acharnement de cette autorité judiciaire burundais contre l’héritage de la femme burundaise et l’égalité pour tous par rapport à la jouissance du droit de propriété, il y a lieu de se demander si réellement c’est une propriété de la cour suprême que ce président a, lui-même initié, préfacé et fait valider par le Ministère de la Justice.
Tout en soulignant que cette Jurisprudence foncière est une avancée significative et salutaire en matière d’égalité des genres et de succession foncière, il est urgent que cette matière soit régie par le droit écrit au lieu de se rabattre à la coutume déjà discriminatoire, non harmonisée, encore moins écrite.
Sur base de tout cela, FORSC recommande ce qui suit :
Au gouvernement du Burundi :
De relancer le processus d’adoption de la loi portant la succession, les régimes matrimoniaux et les libéralités pour éviter de continuer à vaquer dans la discrimination basée sur le genre
Au Ministre de la Justice :
D’ordonner la vulgarisation de la jurisprudence foncière afin de pas consacrer la discrimination d’une partie de la population, à savoir les femmes
Aux juridictions burundaises :
De continuer à se référer à la jurisprudence foncière déjà existante pour trancher les litiges successoraux qui leur seraient soumis au lieu de se rabattre à la coutume déjà discriminatoire
Aux praticiens du droit, les Avocats notamment :
D’utiliser la jurisprudence foncière déjà existante en matière de partage de l’héritage successorale comme fondement juridique dans leurs plaidoiries
Aux Partenaires au Développement du Burundi :
D’amorcer le dialogue avec les autorités politiques et judicaires burundaises en vue de la promotion de l’égalité des genres à travers le respect des instruments légaux en vigueur et l’adoption d’un cadre législatif favorable à l’égalité des genres en matière foncière et la mise en œuvre de la jurisprudence progressiste déjà en cours depuis 2 ans.