Burundi: « Urnes sous contrôle, voix muselées : alerte de la société civile burundaise » Déclaration

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16 juin 2025
Le 5 juin 2025, les citoyennes et citoyens burundais étaient appelés à élire leurs représentants à l’Assemblée nationale ainsi qu’aux conseils communaux. En tant qu’acteurs engagés en faveur de la démocratie, des droits humains et de la paix, nous, organisations de la société civile indépendante, avons suivi le déroulement du scrutin et documenté de nombreuses irrégularités susceptibles de porter préjudice aux résultats du vote.
Forts des principes énoncés par la Constitution de la République du Burundi, le Code électoral ainsi que les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, nous portons à l’attention des autorités et du public ce qui suit :1.Les organisations signataires de la présente déclaration constatent avec regret que ces élections se sont déroulées dans un climat de restriction des droits électoraux marqué par des pratiques frauduleuses, la marginalisation de l’opposition et l’intimidation politique, une répression sans précédent avec la complicité de la CENI1 inféodée au pouvoir, débouchant ainsi sur une mascarade électorale.

2.Nos observateurs et partenaires sur le terrain ont relevé des irrégularités graves lors du scrutin : bourrage d’urnes, violation du secret de vote, falsifications des résultats, exclusion arbitraire d’observateurs indépendants, enrôlement d’électeurs fictifs (mineurs, personnes décédées), pressions et intimidations en zones rurales, détention et harcèlement d’agents de l’opposition, votes multiples et abus de procurations par la jeunesse imbonerakure affiliée au parti au pouvoir, interdiction faite aux médias de couvrir le vote en temps réel, et accès inégalitaire aux bureaux de vote entre médias publics et privés.

3.La CENI, pourtant chargée de garantir transparence et équité du processus électoral en tant qu’organe électoral, s’est illustrée par une inaction complice face aux nombreuses irrégularités : refus de vérification indépendante des procès-verbaux, ignorance des plaintes formulées des partis et de la société civile, et absence de communication transparente. Cette posture a contribué à fausser le processus au profit du parti au pouvoir.

4.La population dénonce un climat d’intimidation généralisée qui a marqué ces élections : arrestations arbitraires de membres et candidats de l’opposition, agressions physiques contre militants et journalistes indépendants, surveillance et harcèlement des électeurs critiques, ainsi qu’une mobilisation accrue des Imbonerakure, jeunesse du parti au pouvoir, souvent déployés à la place des forces de l’ordre. Ces pratiques remettent gravement en cause la liberté et la transparence du scrutin.

5.Plusieurs partis d’opposition ont d’ores et déjà rejeté les résultats provisoires annoncés par la CENI, qu’ils jugent non représentatifs de la volonté du peuple burundais. Ils exigent l’annulation des résultats, la reprise du scrutin sous supervision internationale et des réformes profondes de l’organe électoral.

6.Les organisations de la société civile déplorent également le silence des observateurs de l’Union africaine et de ceux de la CIRGL face aux irrégularités massives constatées, en violation notamment du Protocole de l’Union africaine relatif au mécanisme africain d’évaluation par les pairs (art. 24) et de l’inapplication des « Principes pour l’observation électorale internationale » adoptés par les Nations unies.

7. Lors d’une conférence de presse tenue le 11 juin 2025, la Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI) a proclamé la victoire du parti au pouvoir avec 96,51% des suffrages exprimés, lui attribuant ainsi la totalité des sièges à l’Assemblée nationale. Ce parti au pouvoir a également remporté la quasi-totalité siège aux niveaux communaux.

8. Ces résultats annoncés soulèvent de sérieuses préoccupations quant à la qualité démocratique du scrutin. Une telle victoire absolue du parti au pouvoir est totalement inconciliable avec les principes d’un système électoral libre, pluraliste et compétitif.

9. La société civile condamne avec fermeté les irrégularités électorales et la violence politique ayant entaché les élections législatives et communales du 5 juin 2025. Celles-ci sont contraires à la constitution du Burundi (2018), au code électoral (2024), au pacte international relatif aux droits civils et politiques (1966) ainsi qu’à la charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance (2007).

10.La société civile réaffirme son engagement à oeuvrer pour la vérité et la crédibilité des urnes, la justice électorale et la défense des droits fondamentaux des Burundais.
Face à la gravité de la situation avec un recul démocratique avéré, la société civile burundaise recommande :

➢ Au Gouvernement du Burundi de :

  • Mener un dialogue national inclusif en vue d’une mise en place des institutions électorales indépendantes pour restaurer un processus électoral, libre, transparent et équitable qui permet aux électeurs de choisir leurs représentants dans un paysage politique pluraliste et démocratique.
  • Se garder de valider les résultats provisoires présentés par la CENI sans tenir compte des irrégularités relevées par les observateurs indépendants et privilégier le dialogue politique et une réforme en profondeur de la CENI, afin de garantir sa neutralité, sa compétence et son indépendance.
  • Veiller à la sécurité de toute la population et lutter contre l’impunité des auteurs des violations des droits humains.
  • Mettre fin immédiatement aux actes de répression, d’intimidation et de harcèlement à l’encontre des membres de l’opposition politique, des journalistes indépendants, des défenseurs des droits humains et des électeurs critiques.
  • Garantir le respect des libertés fondamentales consacrées par la Constitution et les instruments internationaux ratifiés par le Burundi, notamment la liberté d’expression, la liberté de réunion et la liberté d’association.

➢A la communauté internationale et aux partenaires du Burundi :

  • Conditionner la reconnaissance des résultats électoraux à une vérification indépendante et rigoureuse.
  • Mener une enquête indépendante sur les violations des droits humains et les irrégularités commises durant ces scrutins.
  • Prendre acte des graves irrégularités constatées et du recul démocratique au Burundi, et exiger des mesures concrètes en faveur de la tenue de nouvelles élections crédibles.
  • Appeler à une concertation régionale urgente pour prévenir l’aggravation de la crise politique et sécuritaire au Burundi et promouvoir la stabilité démocratique dans la sous-région.

Les organisations signataires :

  1. Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture au Burundi (ACAT Burundi)
  2. Association des Journalistes Burundais en Exil (AJBE)
  3. Association burundaise pour la protection des droits de l’homme et des personnes détenues (APRODH)
  4. Centre pour le Renforcement de l’Éducation et du Développement de la Jeunesse (CREDEJ)
  5. Coalition Burundaise des Défenseurs des Droits de l’Homme (CBDDH)
  6. Coalition des Défenseurs des droits de l’Homme Vivant dans les Camps des Réfugiés (CDH/VICAR)
  7. Coalition Burundaise pour la Cour Pénale Internationale (CB-CPI)
  8. Coalition de la Société Civile pour le Monitoring Électoral (COSOME)
  9. Collectif des Avocats pour la défense des Victimes de crimes de droit International commis au Burundi (CAVIB)
  10. Ensemble pour le Soutien des Défenseurs des Droits Humains en danger (ESDDH)
  11. Forum pour la Conscience et de Développement (FOCODE)
  12. Forum pour le Renforcement de la société civile au Burundi (FORSC)
  13. Light for all
  14. Ligue ITEKA
  15. Mouvement INAMAHORO
  16. Mouvement des femmes et filles pour la Paix et la Sécurité au Burundi (MFFPS)
  17. Réseau des Citoyens Probes (RCP)
  18. SOS Torture-Burundi
  19. Tournons la Page-Burundi (TLP-Burundi)
  20. Union Burundaise des Journalistes (UBJ)
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