Date: 23 juin 2025
De: Organisations de la société civile indépendante du Burundi :
- Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture au Burundi (ACAT Burundi)
- Association des Journalistes Burundais en Exil (AJBE)
- Association burundaise pour la protection des droits de l’homme et des personnes détenues (APRODH)
- Centre pour le Renforcement de l’Éducation et du Développement de la Jeunesse (CREDEJ)
- Coalition Burundaise des Défenseurs des Droits de l’Homme (CBDDH)
- Coalition pour la des Défense des droits Humains Vivant dans les Camps des Réfugiés (CDH/VICAR)
- Coalition Burundaise pour la Cour Pénale Internationale (CB-CPI)
- Coalition de la Société Civile pour le Monitoring Électoral (COSOME)
- Collectif des Avocats pour la défense des Victimes de crimes de droit International commis au Burundi (CAVIB)
- Ensemble pour le Soutien des Défenseurs des Droits Humains en danger (ESDDH)
- Forum pour la Conscience et de Développement (FOCODE)
- Forum pour le Renforcement de la société civile au Burundi (FORSC)
- Light for all
- Ligue ITEKA
- Mouvement INAMAHORO
- Mouvement des femmes et filles pour la Paix et la Sécurité au Burundi (MFFPS)
- Réseau des Citoyens Probes (RCP)
- SOS Torture-Burundi
- Tournons la Page-Burundi (TLP-Burundi)
- Union Burundaise des Journalistes (UBJ)
À l’attention de :
- M. Antonio Guterres, Secrétaire-général de l’Organisation des Nations unies
- Mme Wairimu Alice Ndaritu, Conseillère spéciale du Secrétaire général des Nations unies pour la prévention du génocide
- Ambassadeur Philemon Yang, Président de l’Assemblée Générale des Nations unies
- Monsieur Volker Türk, Haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme
- Mr. Bernard Duhaime, Rapporteur spécial des Nations unies sur la promotion de la vérité, de la justice, et des garanties de non-répétition
- Représentants permanents auprès des Nations unies
Excellences, avec notre très haute considération,
Nous, les organisations de la société civile indépendante signataires, avons été informées de la tenue d’un événement parallèle prévu au siège des Nations Unies, le 25 juin 2025, intitulé « Le génocide de 1972 contre les Hutus du Burundi de la mémoire à l’action dans le cadre de la responsabilité de protéger ». Cet intitulé pose de sérieuses préoccupations éthiques, juridique et politique. La reconnaissance d’un génocide est une démarche hautement sensible, strictement encadrée par la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948. A ce jour, aucun organe international compétent n’a qualifié juridiquement les événements de 1972 comme un génocide au sens du droit international. Depuis la crise politique qui secoue de pleins fouets le Burundi depuis 2015, la Commission Vérité Réconciliation (CVR) qui est devenue un instrument politique utilisé par le parti au pouvoir (le CNDD-FDD) ne mène qu’un travail solitaire qui ne fait que diviser la mémoire des Burundais victimes de plusieurs tragédies qui ont endeuillé à la fois les tutsi et les hutu simultanément ou à des séquences séparées. La tenue d’un tel événement sous l’égide des Nations Unies risque d’avaliser une lecture partielle, unilatérale et politisée de l’histoire burundaise. Nous exprimons notre profonde préoccupation face à cette instrumentalisation de la mémoire, qui compromet les efforts de réconciliation nationale et fragilise la crédibilité des mécanismes onusiens en matière de prévention des atrocités de masse. Par ailleurs, une telle initiative tend à occulter d’autres épisodes de violences graves ayant marqué le pays et affecté différentes composantes de la population burundaise, notamment 1965, 1988, 1993, 2015, etc.
Pour plus d’informations à ce sujet, vous pouvez consulter le « Rapport -Alerte de 16 organisations de la société civile rendu public en novembre 2020 sur l’instrumentalisation politico-ethnique de la CVR en faveur de l’oligarchie du parti CNDD-FDD au pouvoir. En outre, dans son rapport de septembre 2020, la Commission d’Enquête des Nations Unies sur le Burundi a déploré que la CVR avait une approche très partiale de sa mission qui n’incluait pratiquement aucune victime tutsie (voir paragraphe 127). Le même constat a été fait par le Rapporteur spécial sur la promotion de la vérité, de la justice, de la réparation et des garanties de non-répétition, M. Fabián Salvioli, lors de la 48ème session du Conseil des Droits de l’Homme, tenue du 13 septembre au 1er octobre 2021 Il a souligné que la CVR est critiquée pour s’être principalement concentrée sur l’excavation de sites datant de la crise de 1972, dont les principales victimes sont connues pour avoir été des membres de l’ethnie hutue, et pour avoir inclus peu de victimes de l’ethnie tutsie dans ses enquêtes. Il convient de rappeler que le rapport de la commission internationale d’enquête sur le Burundi S/1996/682 du 22 Août 1996 qui avait été mise en place en date du 28/08/1995 par le conseil de sécurité avait conclu à travers ses paragraphes 496 à 499 que des actes de génocides ont été commis contre la minorité Tutsi en 1993 mais qu’il faudra mettre en place une commission internationale d’enquête sur le Burundi qui pourrait être suivie par un tribunal pénal international sur le Burundi en vue d’enquêter et de juger les auteurs de crimes graves commis depuis l’indépendance. Face au refus du pouvoir du CNDD-FDD d’accepter la mise en place de cette commission internationale d’enquête qui avait été demandé par le gouvernement du Burundi et qui était par ailleurs prévue par l’accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi en son premier protocole en son article 6 point 10; le conseil de sécurité après des négociations avec le gouvernement avait décidé la mise en place d’un mécanisme judiciaire mixte qui suivrait le travail de la commission d’enquête à travers sa résolution 1606 du 20/06/2005. Contrairement à ce qui précède, le régime en place qui est issue d’une rébellion impliquée dans les crimes du passé (qui est sous enquête de la cour pénale internationale en raison de crimes contre l’humanité commis en 2015), en vue de s’auto gracier et de faire triompher sa lecture de l’histoire et non une vérité réconciliatrice; a décidé de faire cavalier seul en instrumentalisant une commission vérité et réconciliation politiquement motivé pour promouvoir une mémoire sélective qui ne peut que retarder la réconciliation du peuple Burundais. Le fait que les Nations unies sont restées silencieuses sur cette question, malgré sa mission statutaire de promouvoir la justice, la paix et l’harmonie à travers le monde, fut en effet une occasion manquée pour établir la vérité, rendre justice aux victimes et prévenir la répétition des atrocités au Burundi.
Afin de préserver l’esprit d’impartialité, de rigueur et de responsabilité que requiert toute action liée à la mémoire des victimes des conflits et à la prévention des atrocités de masse et des crimes contre l’humanité au Burundi, nous formulons respectueusement les recommandations suivantes :
- Préserver la neutralité et la crédibilité des Nations Unies en empêchant l’Organisation de prêter sa tribune à des initiatives perçues comme partisanes ou politisées avec la tenue de cet événement dans ses prémices;
- Prendre les mesures nécessaires pour mettre en œuvre la résolution S/1996/682, adoptée par le Conseil de sécurité des Nations Unies en veillant à la création d’une commission internationale indépendante chargée d’enquêter de manière impartiale et exhaustive sur l’ensemble des crimes contre l’humanité commis au Burundi depuis l’indépendance;
- Prendre les dispositions nécessaires pour que le Conseil de Sécurité remette le Burundi à son ordre du jour pour prêter l’attention voulue à la grave crise que traverse ce pays et sans perspective de solution à ce jour.